Ci-dessous, vous trouverez un résumé de la présentation. Vous pouvez retrouver toutes les informations sur la conférence (slide et futur enregistrement) sur la page dédiée aux JDLL 2023 dans notre documentation.
Samedi matin à 10h, j’ai parlé d’entre-hébergement pour la première fois en public aux JDLL. C’était une présentation avec une dimension un peu plus politique que d’habitude.
Je voulais d’abord revenir sur la définition de l’auto-hébergement et constater que c’est vraiment dur à maintenir dans le temps pour des usages critiques (comme les emails ou la fourniture de service pour pas mal de gens). Se pose alors la question de pourquoi continuer à faire de l’auto-hébergement ?
Une des raisons, c’est bien sûr l’apprentissage et le fun. Mais que reste t’il de tout ça 8 ans après, quand tout ces services deviennent critiques et importants ? Pas grand chose à part peut-être bien une conviction politique…
Mais il reste encore à la définir, cette conviction politique. Pour ça, je voulais revenir aux origines du libre : c’est à dire avant la Free Software Foundation. Après tout, Stallman n’est pas apparu ex nihilo un beau matin de l’an 1985. Il est en réalité le produit d’une contre-culture californienne, avec toutes ses qualités et ses défauts.
On y trouve des personnages hauts en couleur, comme Steward Brand. Connu pour le Whole Earth Catalog qui accompagnait une prise de conscience des enjeux environnementaux à l’échelle de la Terre, Stewart Brand s’en détourne quelques années plus tard pour se tourner vers les hackers. Il aide ces personnes à s’organiser, comme avec le Homebrew Computer Club (où se rencontreront Steve Jobs et Steve Wozniak, les co-fondateurs d’Apple) ou la Hackers Conference (où un certain Richard Stallman se trouvait alors mûrissant encore son projet)… 50 ans plus tard, Apple est devenu une multinationale qui se revendique, plus ou moins indirectement, encore de cette contre-culture tout en incarnant aussi pleinement les travers contre lesquels elle s’était dressée.
Pour autant, la contre-culture californienne ne se résume pas à Stewart Brand. D’autres discours, aux colorations un peu différentes se faisaient entendre, dont celui de Pamela Hardt-English. Elle a créé “Ressource One”, un centre local d’informatique “pour les gens”. Elle voyait l’informatique comme un moyen (parmi d’autres) de créer du lien social, finalité qui était clairement précisée dans les documents de l’époque. De ce centre, émergera “Community Memory”, le premier forum en ligne. Il était accessible via des terminaux dispersés dans des lieux qui accueillent du public à travers San Francisco, comme des bibliothèques ou des disquaires, terminaux connectés via une ligne téléphonique à leur ordinateur. Ce qui distingue nettement Community Memory des projets autour de Stewart Brand, c’est l’accent mis sur le collectif et son autonomie, la reconnaissance des limites de la technologie, etc.
Community Memory, le projet de Ressource One, animé par Pamela Hardt-English entre autre
Tout ces projets, aussi inspirants soient-ils, sont considérés comme les racines de l’informatique personnelle telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec toutes ses dérives. Et en même temps, quand on regarde les critiques actuelles, on retrouve des propositions, des valeurs défendues à l’époque. Se pose alors la question : qu’à t’on perdu de vue en 50 ans ?
Pour cette présentation, on s’est focalisé sur un point en particulier : penser le collectif face à un certain individualisme tendance libertarienne, déjà présent aux origines dans les années 60. Mais il a surtout largement été exacerbé au fil des années. Prenez les 4 libertés essentielles du logiciel libre : elles ne concernent que l’individu, jamais le groupe. En pensant le collectif, on peut penser de nouvelles solutions, qui ne sont pas limitées à l’échelle de ce fameux individu.
C’est pour ça qu’on propose de rendre collectif l’auto-hébergement, c’est à dire le transformer en entre-hébergement. Et de là, on peut extraire deux principes : l’entraide, au sein du collectif, l’idée qu’on se soutient mutuellement et qu’on se complète. Mais aussi entre-nous, et non l’entre-soi, qui valorise l’autonomie du collectif : si nous n’avons pas de pouvoir, pas de capacité à prendre de décision, alors nous ne pourrons pas avoir d’impact, on ne pourra rien changer.
En pratique, on note qu’on a des serveur distants géographiquement : on gagne alors une résilience pour les machines, tant sur le réseau internet que électrique, sans rajouter davantage de matériel. Ces serveurs sont aussi hébergés par des personnes différentes, qui peuvent donc se relayer, mais aussi assurer une continuité. Si une personne ne peut plus héberger ses machines, d’autres sont déjà prêtes à prendre le relai. Nous ne sommes pas les seuls à réfléchir à cette question : Tedomum, avec son project acides.org, travaille également sur sa propre interprétation du concept.
L’entre-hébergement a fait émerger des réflexions en interne, particulièrement sur le sujet de l’indépendance. Notre point de départ est que l’autonomie ne se décrète pas, elle se constate. De ce fait, si nous cherchons à nous autonomiser vis à vis de certaines choses, on ne peut pas être autonome face à tout. Il nous revient donc à choisir et accepter nos dépendances, et pourquoi pas, en être fièr-es.
Bien sûr un cadre approprié pour les réflexions est un plus, la mise en scène est complètement autorisée comme vous pouvez le constater.
Une des dépendance les plus difficile à accepter n’est autre que celle vis à vis des personnes qui hébergent les machines. En étant plusieurs à héberger les machines, on dissout un peu le pouvoir : personne n’a une machine cheffe, toutes ces machines sont interdépendantes. Pour construire de la confiance et de la réciprocité, on demande à ces personnes hébergeant les machines de se soucier des usager-es : tu dépends de moi, je me soucie de toi. C’est à dire être attentif à ce qui ne va pas, agir de manière responsable quand on intervient sur le système, s’assurer d’avoir les compétences avant de prendre la responsabilité, et enfin d’accepter, d’être en mesure de demander de l’aide en cas de problème, de ne pas rester seul-e.
Il faut voir toute ces propositions comme un point de départ, un horizon pour Deuxfleurs, d’avantage qu’un constat, une conclusion, ou une observation de nos pratiques. Il reste encore plein d’angles morts, de pratiques balbutiantes, et d’éléments dysfonctionnels dans nos pratiques. On note par exemple que grand nombre de logiciels libres sont très peu adaptés à nos infrastructures et projets, et donc que c’est un effort de développement conséquent. Tout ça limite nécessairement notre périmètre d’action. Sur la question des infrastructures, on est dépendant de la grille électrique et des FAI grands publics aujourd’hui, bien qu’on soit en discussion avec certaines structures de FFDN. Enfin, on héberge nos machines dans le cadre du privé, de la famille, bref, à la maison. Pourtant, un troisième lieu, public, qui ne soit ni le domicile ni le travail, où les gens passent du temps, discutent, et puissent s’approprier l’infrastructure de Deuxfleurs pourraient être plus pertinents dans notre démarche de créer du collectif.
Pour autant, on ne désespère pas, et on se considère comme un petit élément, une petite réflexion au sein d’un bain bouillant de réflexions, dont Yunohost, CLIC, Solar Protocol, Homebrew Server Manifesto, Small Web et bien d’autres font partie. Finalement, si nous ne devions garder qu’un élément de cette présentation, c’est que l’essence du libre se trouve dans son caractère subversif. Montrer qu’on peut faire du logiciel de qualité et d’envergure en dehors des grandes entreprises était subversif il y a 10 ou 20 ans, mais aujourd’hui il a été totalement intégré par les GAFAM, que nous dénonçons pourtant si ardemment. En s’organisant collectivement pour gérer nos propres infrastructures selon des règles qui ne sont pas du ressort du contrat, on espère participer à rallumer un peu la flamme de la subversion du libre.
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