James Scott commence son livre par expliquer ses motivations : dans le cadre de son travail d’anthropologue, il a souvent été confronté à des idées qu’il rattache à l’anarchisme. Il a donc voulu explorer le sujet pour de bon et en livre sa synthèse ici. Ce billet ne couvre que la préface du livre, le reste viendra peut-être plus tard, ou pas…
Le regard anarchiste
Plutôt que de parler de philosophie anarchiste, il préfère parler d’un regard anarchiste, se portant sur les pratiques, en notant que ce sont des inspirations qu’on peut retrouver chez des individus n’ayant jamais entendu parler d’anarchisme. Il met en avant qu’en étudiant l’histoire à travers ce regard anarchiste, on peut relever 2 motifs récurrent : la mutualité, c’est à dire la coopération sans hiérarchie, rattaché à Pierre-Joseph Proudon, et la tolérance à l’improvisation, rattaché à Rosa Luxembourg. L’auteur précise que R.L. préfère une “erreur honnête d’ouvrier qu’une sage décision de l’élite du parti”.
L’auteur défend aussi une vision politique, faite de débat, de contradiction et d’apprentissage, qu’il met en opposition à un scientisme utopique (ce qu’on appellerait techno solutionisme aujourd’hui ?) où des spécialistes gouverneraient en remplaçant le politique par l’administration des choses. Il conclue en notant que l’abondance matérielle permise par le progrès scientifique, au lieu de bannir la politique, à créer de nouvelles sphères de lutte politique. Il ajoute que le socialisme d’État créer surtout une classe dirigeante protégeant ses intérêts.
Il exprime ensuite ses réserves vis à vis de certains aspects de la pensée anarchiste : l’État comme ennemi absolu des libertés, d’un certain idyllisme d’un état naturel coopératif de l’humain libéré de l’État, et des doctrines libertaires qui tolèrent les vastes écarts de richesse.
Les organisations sont des freins aux protestation
Scott avance que les mouvements de protestation ne viennent souvent pas des organisations, mais que ces dernières essayent de les rediriger dans des voies institutionnels, et que quand le changement est radical, elles sont d’avantage un blocage qu’un renfort. Par perturbation, Scott entend des émeutes, des attaques contre la propriété, etc. de sorte que les institutions soient défiées et donc menacées.
L’auteur note que les perturbations peuvent aussi mener à l’autoritarisme, mais il souligne que, malgré les risques, elles sont une condition nécessaire, quoi qu’insuffisante, aux changements structurels importants, entre autre, en forçant les élites et le public à porter leur attention sur le sujet.
L’auteur enchaine ensuite sur la résistance passive nommée infrapolitique par ce dernier, un de ses sujet de prédilection je crois. Partant du constat que l’État a rendu impossible et dangereux l’organisation des classes subalternes, il explique que ces dernières ont adopté un mode de résistance similaire à la guérilla : dispersée et en petit nombre. Il prend pour exemple l’occupation illégale plutôt que la revendication d’un terrain, la désertion militaire plutôt que la mutinerie, etc.
Nous faisons semblant de travailler et ils font semblant de nous payer
Scott dit que les coopérations via des réseaux informels au sein des villages ou des quarties relèvent de la mutualité. L’auteur se demande si la présence de l’État, des institutions et des organisations, de plus en plus forte dans nos vies, ne sape pas le pouvoir d’organisation autonome et indépendant des individus. Il craint que notre socialisation dans un monde néolibérale nous ait fait perdre nos habitudes de mutualité.
La sociologie au prisme de l’anarchie
Scott explique que la pensée anarchiste reconnait que les paysans, artisans et travailleurs sont des penseurs politiques. En regard, il note que dans le domaine des sciences sociales, ces personnes sont parfois réduites dans leur analyse à leurs caractéristiques socio-économiques. Il alerte sur l’importance de prendre en compte le point de vue des personnes concernées, d’écouter ce qu’elles ont à dire. Je suis surpris par cette précision de l’auteur, il me semble que les entretiens en sociologie ainsi que les analyses qualitative (plutôt que quantitative) soient la norme.
Notes sur la suite du texte
L’auteur met en garde sur le fait que son texte est écrit en “fragments”, et que ce n’est pas un traité de philosophie politique avec une cohérence interne (comme Kropotkine, Isaiah Berlin, John Locke ou Karl Marx), ni une étude des penseurs anarchiques (Proudhon, Bakounine, Malatesta, Sismondi, Tolstoï, Rocker, Tocqueville ou Landauer), ni une étude des mouvements anarchiques (Solidarność, en Pologne, des anarchistes de la guerre civile espagnole ou des travailleurs anarchistes).
Ma conclusion
Dans cette préface, Scott commence avec deux outils : la mutualité et la tolérance à l’improvisation, deux concepts qui me semblent féconds pour faire des choses à plusieurs. Scott parle ensuite d’organisations sans franchement décrire comment elle se différencient de la mutualité. Ceci dit, j’en déduis qu’il faut s’interroger en permanence sur les rapports de pouvoir qui peuvent exister entre les humains. On y voit aussi une connexion avec ses autres travaux quand il parle d’infrapolitique : plutôt que d’affronter le pouvoir directement, y résister passivement est un acte politique aussi selon Scott. Le reste de la préface me parait moins important, je ferai peut-être un résumé de certains chapitres sur le même format, et probablement dans le désordre si c’est le cas.
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