Suite à ma réunion avec des acteurs des Tiers-Lieux, il me semble que nous partageons des valeurs, des manières de faire, et des objectifs, mais que des différences de vocabulaire, de priorités et de culture rendent la compréhension parfois compliquée.
En essayant de structurer et résumer ce qui a été discuté ce matin, j’essaye de faire avancer le sujet à mon échelle, en clarifiant peut-être certains points pour certain-es, mais aussi en montrant ce que je n’ai pas compris.
Définir les Tiers-Lieux. Notre échange s’est ouvert sur la difficulté de définir ce qu’est un Tiers-Lieux. Pour ma part, je vois que le Movilab et d’autres citent le travail de thèse en sociologie de Antoine Burret comme “définition officielle”, accolé à des citations et des interviews. Je trouve que ça rend le sujet complexe à aborder de l’extérieur alors je me suis refait ma petite définition à partir de ce que j’ai vu et compris. C’est à prendre avec des pincettes, je ne suis pas du milieu :
Les Tiers-Lieux sont des espaces, physiques (un local, un batiment) ou virtuels (rencontre hebdomadaire dans un bar, structure juridique commune comme une association ou une entreprise, forum en ligne, salon de discussion, etc.), où il se crée du lien social (c’est à dire où des gens se rencontrent et lient des relations entre eux), le tout autour d’une action commune et pratique (travailler ensemble, faire une cantine participative, un atelier vélo, mettre à disposition des ressources numériques, etc.).
La différence avec un parti politique, une ONG ou une association militante, c’est que les Tiers-Lieux ne se construisent pas autour d’un discours (un programme, un rapport, un tract, etc.) mais d’une action pratique. La différence avec une entreprise traditionnelle, c’est que les Tiers-Lieux revendiquent comme finalité la création de lien social et non le profit.
Partant de cette définition, on note qu’elle est large et regroupe pas mal d’entités radicalement différentes qui peut aller de l’espace de coworking pour cadres supérieurs au hackerspace dans un squat. On se retrouve donc avec des entités avec des objectifs très différents, qui possiblement ont même des projets et modes de fonctionnement qui rentrent en conflit. Pour ma part, j’ai l’impression d’avoir identifié 3 tensions à ce sujet lors de notre réunion.
Tension 1 | La résilience - Une partie des Tiers-Lieux ont une approche écologique et locale à la production. Leur action peut donc (au moins partiellement) se centrer sur créer des circuits et chaînes d’approvisionnement plus courtes ou développer des formes d’autonomies (alimentaires, énergie, réparation, communications, etc.) afin de développer une certaine résilience. C’est une approche plutôt exploratoire aujourd’hui, et de ce fait, ne permet que rarement de proposer un “service clé en main”.
Tension 2 | Nature des activités - Certaines personnes dans les Tiers-Lieux le sont bénévolement, d’autres en ont fait leur moyen de subsistance. Un bénévole a souvent peu d’engagement envers la personne qui bénéficiera de son activité contrairement à quelqu’un qui est payé dans un Tiers-Lieux, et dont l’activité est donc facturée à un client. Dans ce cas, la personne doit donc s’assurer que les services dont elle a besoin sont fonctionnels au risque de ne pas pouvoir honorer ses engagements.
Tension 3 | L’institutionnalisation - Certaines personnes aux seins des Tiers-Lieux revendiquent la coopération, l’horizontalité, et l’absence de hiérarchie. Je pense personnellement qu’on pourrait faire des parallèles avec l’anarchisme, et j’aimerais que les acteurs de ce mouvement revendiquent plus clairement une vision politique, histoire de mettre les choses au clair :-P. En face de ça, le gouvernement investit l’initiative à travers France Tiers Lieux en y injectant de l’argent. On peut y voir une certaine récupération institutionnelle du concept, et de fait, qui le positionnera également sur le plan politique, mais différemment !
Situer les porteurs de projet - Nous avons pu discuter avec les porteurs de projet qui se considèrent comme les premiers usagers des solutions numériques qu’ils aimeraient mettre en place. Il est bon de rappeler que les Tiers-Lieux revendiquant une certaine forme d’horizontalité et de diversité, nos interlocuteurs ne représentent qu’une partie du mouvement global. Dans ce spectre des tensions, j’ai cru comprendre qu’il n’y avait pas forcément consensus entre nos interlocuteurs sur l’aspect résilience ou sur l’aspect institutionnalisation, mais qu’ils avaient par contre tous une activité économique, qui sera donc le point de départ pour définir leurs besoins.
Besoin 1 | Garanties - Le premier point qui est ressorti selon moi, c’est le besoin de garanties lié à leur activité économique. Ils souhaitent des solutions disponibles et durables dans le temps. Un accord commercial leur permettrait de s’assurer contractuellement de ces propriétés. Une approche purement bénévole ne semble donc pas souhaitable.
Besoin 2 | Coopération - Le second point, c’est la nécessité de coopérer entre Tiers-Lieux. En effet, différentes initiatives partagent des ressources en commun, portent des projets ensembles, bref le concept de Tiers-Lieux n’est pas une entité hermétique, mais doit rester indépendante. Considérant que les Tiers-Lieux ont actuellement un seul prestataire technique, il n’est pas clair si une instance mutualisée avec une gestion fine des permissions ne serait pas plus efficace que des instances indépendants fédérées.
Besoin 3 | Accompagnement - Les Tiers-Lieux ont théorisé le concept d’accueil et d’accompagnement sous le terme conciergerie. Ils souhaiteraient donc être en charge de cette partie, et donc avoir suffisamment de latitude pour pouvoir le faire. Ça veut dire par exemple avoir les accès d’administration sur Nextcloud, pouvoir créer des comptes et modérer sur Matrix, etc.
Ajouté à cette définition des besoins, je crois identifier également des contraintes liées au contexte.
Contrainte 1 | Ne pas être pionniers - Les porteurs de projets et premiers utilisateurs ne souhaitent pas être pionniers dans l’adoption d’un logiciel, ni ne souhaitent participer à des projets de re-décentralisation d’Internet. Au contraire, ils veulent utiliser des logiciels éprouvés.
Contrainte 2 | Sentiment d’urgence - Le milieu des Tiers-Lieux semble être très actif et bien financé. De nombreuses décisions sont en train de se prendre, et il semble important de proposer quelque chose, même non optimal, car d’autres acteurs économiques ne portant pas les valeurs des CHATONS pourraient se positionner.
Ma conclusion - Je ne suis pas totalement à l’aise avec le discours très dépolitisé des Tiers-Lieux, qui laisse la place à des structures dont je ne partage pas les valeurs, mais force est de constater qu’il y a aussi de très beaux projets.
Je vois en réalité 3 aspirations différentes vis à vis du numérique :
Des outils de gestion d’entreprise numérique, de l’ERP au site vitrine. Ces derniers n’ont pas besoin d’être fédérés et sont déjà bien installés dans l’écosystème libre. Une recherche sur Odoo ou Wordpress au sein de l’annuaire CHATONS permettra de mettre en relation avec les nombreux CHATONS existants proposant ce service. À mon sens ici, c’est plus un problème de communication.
Des outils de collaboration gérés localement, pour fédérer les fichiers, les conversations et l’authentification. À mon sens, ce qui semble en réalité important, c’est que les conciergerie aient des accès de gestion aux services pour leurs membres, car les Tiers-Lieux ne prévoient pas de gérer l’aspect technique pour le moment. Je ne vois quel serait le rôle d’une entité (appelée CHATONS local dans les slides présentées pendant la réunion) entre la conciergerie et la gestion technique. Un logiciel centralisé mais mutualisé avec les bonnes règles d’administration pourra faire l’affaire. Sinon, Nextcloud et Matrix qui sont des logiciels éprouvés ont des options de fédération/partage (pour Nextcloud : External Storage ou Federation Sharing), et entre Shibboleth et France Connect, l’aggrégation de SSO est un problème déjà bien défriché.
Une approche exploratoire à un numérique plus résilient, où les machines sont gérées dans des lieux physiques et proches des gens. Une discussion sur la matérialité, les usages, la gestion peut donc plus facilement être engagée avec les usagers. C’est l’aspect qui me plaît le plus, mais c’est aussi celui qui répond le moins aux contraintes et besoins de nos interlocuteurs.
Pour ma part, c’est le dernier point qui m’intéresse car il est dans la continuité des projets de Deuxfleurs. Si vous aussi vous vous reconnaissez dedans, contactez-moi !
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